L’arrivée à La Paz par le téléphérique d’El Alto nous avait fait forte impression sur l’ancienne capitale. Imaginez une marée de briques rouges qui s’étend à perte de vue, dans une immense cuvette cernée de falaises et montagnes rocailleuses. Au loin, la cordillère royale éclate de blancheur sous un grand ciel bleu, et dans chaque direction, la silhouette des téléphériques danse sur la ville qui file. La plus impressionnante est sans doute celle de la ligne qui surplombe la falaise d’El Alto, que l’on distingue à contrejour dans le ciel, au coucher du soleil.
Pourquoi des téléphériques nous direz-vous? Et bien, si une ville du continent n’a pas été faite pour les cyclistes, c’est bien celle-là. Vous nous auriez vu monter descendre l’avenida Montes à la recherche d’un hôtel où poser les sacoches, c’était pas triste. Quand nous trouvâmes enfin un lit, il était si moelleux que nous n’entendimes plus un bruit deux heures durant. Les trois mousquetaires avaient retrouvé un brin de confort, et c’était pas du luxe !

Les 36 heures avant le départ de Tiphaine furent consacrées à tester les bons plans restos, histoire de changer des pâtes-avoine-thon. Entre steaks d’alpaga, risottos de quinoa et ces bons vieux burgers, c’était la folie. Et puis un matin, nous nous réveillâmes, Émilie et Stéphanie, auprès du lit vide de Tiphaine. Elle avait filé en douce pour ne pas manquer son vol, qui devait la ramener à Clermont pour son prochain week-end de garde à l’hosto. On s’est dit : quel courage !
Après le départ de Tiphaine, il nous fallait quelques jours de repos, tant la course avait été folle et intense. Nous en avions pris plein les yeux, et avions également accumulé pas mal de fatigue, de tant d’heures passées face au vent sans vouloir en perdre une miette. Alors quand le mauvais temps s’invita, à coups de ciel menaçant et d’averses de pluie et de grêle, nous n’eûmes plus de scrupules à paresser tranquillement le temps qu’il nous plairait. D’autant plus que le retour à la ville avait été bien rude. Après ce No Man’s Land, nous nous étions un peu sauvage-ifiées, alors errer dans les rues escarpées et malodorantes, qui grouillent de presque toute la population bolivienne concentrée là… Argh. On avait littéralement les batteries à plat !!
Mais nous allions bientôt reprendre du service, car depuis un moment nous trottait en tête l’ascension du Huayna Potosi, sommet englacé emblématique de la région. Malgré le temps médiocre, nous contactâmes Cecilio, guide de haute montagne certifié bolivien (merci Elsa !!), qui nous équipa une nouvelle fois des pieds à la tête, pour nous embarquer dans la neige et le vent, à l’assaut de notre premier 6000.
Quelle aventure ce fut ! Du parking au refuge, nous avancions péniblement sans aucune visibilité, avec la grosse mamita boliviana en jupe traditionnelle et poncho en guise de sac à dos, qui serait notre cuisinière. Bientôt, elle nous dépassait avec ses bottes en caoutchouc, et filait loin devant dans la pente abrupte. Quelle agilité !


Arrivées au refuge, Émilie avait la turista, Steph allait bientôt l’avoir, et Cécilio n’était pas très confiant quand aux conditions climatiques de la nuit à venir. Mais, comme c’était déjà magique, là-haut sur notre petit promontoire à 5150 mètres d’altitude, et qu’on se sentait mieux acclimatées que lors de l’ascension du Cotopaxi, quelques mois auparavant, on était heureuses. Et comme Cecilio savait d’où on venait, il nous avait monté une petite bouteille de rouge pour aider à la sieste pré-ascension. Un verre de vin juste avant de grimper à 6000, quelle bonne idée…

Puis, de fil en aiguille, avec piolets et crampons, nous grimpâmes, six heures durant, dans la neige et le vent. Puis, à la fin, à la toute fin, le temps qui ne nous avait vraiment pas épargné nous fit le cadeau de dégager le sommet du Huayna Potosi, juste à temps pour nous hisser tout en haut par l’arête sommitale pleine de neige fraîche, et y voir le soleil percer, au-dessus de la mer de nuages.

Comme au Coto, la fin avait été atroce, mais comme au Coto, nous admirions, hypnotisées, le spectacle incroyable d’un lever du jour éclatant, dans le froid perçant des 6088 mètres d’altitude que nous avions atteint.

Alors que les stalactites de nez d’Emilie fondaient à vue d’œil, nous entamions la descente, avec le soleil cette fois. Nous eûmes tout le loisir d’admirer les séracs, crevasses et les merveilleux panoramas du glacier, tandis que la cordée suivait le chemin en sens inverse jusqu’au refuge, entre les nuages qui passaient et repassaient au gré du vent.
De retour à La Paz, tout nous semblait moins glauque. Le soleil revenait, l’odeur de la ville n’était plus si terrible, et après dix heures de sommeil, nous retrouvions la force d’envisager un prochain départ, vers le reste de la Bolivie. Les plan était: cap au sud, bientôt les salars, le Sud Lipez, jusqu’au Chili, so far, so good !