Alors voilà. Nous avions passé plusieurs semaines sur l’altiplano désert du Pérou et de la Bolivie. Si le passage à San Pedro de Atacama nous avait donné un avant-goût de printemps et un semblant de retour à la ville, nous avions vite retrouvé les grands espaces perdus, sur la route du Paso Sico. Le quotidien, c’était les villages déserts, les chemins de sable foireux, les repas coquillette thon en boite et le bruit du vent qui perçait le silence des Andes de jour comme de nuit. Et voilà qu’en une journée, nous passions de San Antonio de los Cobres à Salta. C’était comme retourner à la vie, dans la douceur du printemps, alors qu’on avait oublié jusqu’à son existence. A y réfléchir, la région de Salta, vallée verdoyante à 1100 et quelques mètres d’altitude, n’est pas si dépaysante, pour qui vient d’Europe. Mais y arriver à vélo depuis le nord, quelle claque ! Il y eut d’abord le vent qui faiblissait, lui qui nous avait fait tant douter dans la journée. Puis, petit à petit, la verdure avait remplacé les paysages de cactus accrochés aux reliefs rocheux. Et après une dernière vue sur la ligne de chemin de fer du fameux Tren de las Nubes (qui porte bien son nom, suspendu aux falaises), nous atteignions Campo Quijano, banlieue coquette au Sud-Ouest de Salta, ou l’odeur des barbecues venait chatouiller nos narines en ce dimanche ensoleillé. Partout, des gens dans les rues, aux terrasses des cafés, des enseignes coquettes et des villas chics. C’était incroyable. Et cette chaleur !
Salta, c’est une belle ville coloniale de la fin du XIVème siècle, à l’architecture la mieux préservée de toute l’Argentine. De quoi satisfaire les férus d’histoire coloniale… Mais la vague de chaleur eût vite raison de notre engouement pour les musées historiques. On avait troqué nos doudoun es pour les shorts tee-shirts pliés au fond du sac, et passions nos journées à arpenter les rues de Salta à la recherche d’empanadas, dégustations de vins et terrasses ensoleillées, aux son assourdissant des cigales cachées dans les branches des places arborées. C’était doux ! C’est là que nous goutâmes à nos premiers « Asados », les fameux barbecues argentins dont on nous vantait les délices depuis le nord du continent. En deux jours, on avait déjà réapprivoisé la vie citadine, et c’était si sympa qu’on se serait bien vu y vivre quelques mois ! On avait même regoûté au bonheur d’une « vie sociale », en recroisant Javier, l’américain à la cornée détruite par la lumière du salar d’Uyuni. Heureusement, il allait mieux, et avait pu reprendre la route en passant par la route qui rejoint l’Argentine par La Quiaca. On ne le savait pas encore, mais on n’avait pas fini de recroiser sa route…




Au troisième jour, les batteries étaient pleines pour reprendre la route vers Cafayate et sa vallée de vignobles. De fil en aiguille, Nienke et Pim avaient prolongé leur séjour à Salta, et reprenaient la route avec nous. Les grands espaces déserts avaient laissé place à une multitude de petits villages viticoles, où l’on s’arrêtait volontiers en terrasse pour partager un litre de soda, avant de repartir à fond en plein pic glycémique, sous un soleil de plomb. Quelle chaleur… Mais à quatre, fraîchement descendus d’altitude, on avait la grande forme, et en une journée on avait dépassé notre objectif du jour : Alemania, un ancien village ferroviaire abandonné, aux allures de western. Quelques bornes plus loin, on montait le campement dans le jardin d’un gaucho adorable, qui cuisinait les empanadas à merveille. C’était juste avant d’entrer dans la Quebrada de las Conchas, et les reliefs alentours avaient pris une teinte rougeâtre, flamboyants à la fin du jour. Ce soir-là, à deux pas des vignes personnelles de notre hôte, c’était apéro bière fraîche saucisson, et longue soirée chaude comme des vacances d’été. Le pied !

Le lendemain, nous découvrions la Quebrada de las Conchas, joyau de l’Argentine, que nous allions traverser d’une traite. C’est dans un canyon profond creusé par le Rio de las Conchas, dans une roche rouge brique digne du Grand Canyon nord-américain, que nous pédalions désormais. Tantôt le soleil tapait fort, et l’on s’arrêtait dès que possible pour un coca ou un litre d’eau fraîche. Tantôt le ciel orageux nous incitait à filer dans le vent chaud, qui soufflait fort au fond du canyon. C’était beau et un peu flippant, mais l’asphalte tout doux glissait sous nos roues, et le soleil finissait toujours par percer, et l’on échappait à la pluie. Certaines roches avaient des formes singulières, et leur célébrité faisait affluer les véhicules de touristes. Il y avait la Garganta del Diablo, superbe cirque creusé dans la roche dont la couleur changeait à chaque heure du jour, l’Anfiteatro, ou encore el Sapo, étonnante grenouille géante fossilisée. Mais ce qu’on a préféré dans tout ça, c’est la vitesse que l’on prenait ensemble. C’était si grisant que l’on en oubliait de s’arrêter pour prendre des photos, et avant la fin de l’après-midi, nous avions rejoint la mythique route 40, à l’entrée nord de Cafayate. Le paysage avait encore changé, cette fois plus de roches rouges, mais une vallée très verte, baignée de soleil, avec d’élégants portails cachant des vignobles de renom, et une placette proprette à l’ambiance paisible. Soudain, nous étions dans la charmante bourgade de Sonoma, au milieu des vignes californiennes !






A Cafayate, on allait vraiment se poser, avant de se lancer dans la traversée de la mythique route 40 vers Mendoza. Ce furent quatre jours à nous la couler douce de vignes en vignes, à flâner sous les arcades de la place centrale, à profiter du temps qui passe en compagnie de Nienke et Pim, qui étaient décidément aussi peu pressés que nous de reprendre la route ! Javier aussi était dans le coin. Il avait fait le vœu de connaître absolument tous les vins de la région et s’adonnait à la tâche dès le matin, allant de dégustation en dégustation toute la journée, impressionnant d’assiduité. Quelle descente ! Et comme l’univers du cyclotourisme est un microcosme, même dans l’immensité du continent sudaméricain, nous savions qu’un groupe de 7 français n’allait pas tarder à arriver, que Laure et Lionel (alias les 2L), deux anneciens croisés à Atacama, n’étaient pas bien loin, et finalement nous fîmes la connaissance de Marjorie et Antoine, qui terminaient bientôt leur virée à vélo. Une chouette rencontre !





Au final, cette pause marqua la vraie transition entre la traversée des Andes Nord et Sud. Alors que les mois précédents nous avions ressenti une vraie continuité dans notre progression, soudain, nous avions changé de monde, très loin du froid venteux des hauts plateaux des Andes. C’en était fini pour un moment des soirées glaciales, des villages déserts, des boites de thon qui étaient en fait de l’anchois (véridique) et des chocolats Sublime, seul réconfort dans les coups durs (en plus de notre humour légendaire, bien sûr). Et c’était tant mieux ! Depuis quelques jours, il était impossible de se retrouver seules plus de quelques instants, sans croiser une connaissance, ou faire une nouvelle rencontre, tant les argentins avaient la tchatche dans ce coin du pays. Et ce n’était que le début…
! Bienvenidos a Argentina !